SCULPTURES

« Il est quand même plus facile de faire un saut périlleux en apesanteur. Ce n’est même plus vraiment périlleux le saut en apesanteur. Moi j’aime la pesanteur. J’aime ce qui pèse et pèse bien. Il y a des choses lourdes qui pèsent mal et des légères qui pèsent bien. Par exemple, la lourde petite tête soyeuse d’un nouveau-né reposant dans la paume creuse de notre main. »
Charles Matton, Hatier, Paris 1991
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Des volumes lisses aux drapés agités, des têtes pleines aux corps en creux, passant par les lits habités de corps amoureux, les bustes en attente, les mains ouvertes, les pieds solides, les poitrines rondes, les ventres pleins, les visages apaisés, les bras qui s’élèvent, les corps qui dansent, les silhouettes qui tombent ou s’élancent — quelle forme Charles Matton n'a-t-il pas approchée avec ce mélange de précision et de tendresse ? La sculpture aura peut-être été, pour lui, le médium le plus nécessaire, celui qui permet d’ordonner sans figer, d’aimer sans trahir, d'aller vers le désordre en volume pour le contenir "dans la main", et enfin le reconstruire. Il y a de la douceur dans ce plâtre, dans cette résine, dans ce bronze qui parfois brille à peine, et parfois se tait complètement. Lulu, immense et paisible, Lulu au pied grand comme le monde, suspendue dans un mouvement de joie, jouant avec une balle ou flottant dans l’ombre d’une boîte — elle est là partout, déclinée, recomposée, poursuivie, toujours identique et jamais pareille. Des chorales muettes aux grosses femmes endormies, des chorales immobiles qui semblent chanter je ne sais quel Debussy, Ravel, Messiaen — Matton sculpte pour garder, pour entourer, pour revenir : pour aimer. Pour dire : regarde comme c’est fragile, regarde comme ça tient. Regarde comme ça tient, oui, par un pied, un regard, un geste qui ne tombera jamais.